*********************************************
Un demi-siècle après le passage des Chinois par Montargis, alors que l’histoire est tombée dans l’oubli, on va découvrir que le successeur de Mao, Deng Xiaoping, a lui aussi vécu dans le Loiret…
Quasiment
oubliée en France, l’histoire des Chinois de Montargis resurgit en 1975 lors de
la visite en France du Vice-Premier Ministre chinois, Deng Xiaoping,
quand celui-ci demande à visiter Montargis où il aurait vécu au début des
années 1920 !
Côté français c’est la surprise.
Deng Xiaoping a beau évoquer son travail à l’usine Hutchinson, dans les
archives de l’entreprise, aucune fiche de travail ne répond à son nom. On en
reste là.
Deng Xiaoping, l’habitant oublié de
Montargis.
Puis en 1982, le maire de Montargis, Max Nublat, est invité en Chine avec des maires de grandes villes de France, surpris de voir le représentant de cette modeste sous-préfecture du Loiret convié à ce voyage.
À Pékin, une banderole attend le maire de Montargis pour lui souhaiter la bienvenue ;
c’est le seul membre de la délégation à avoir droit à cet honneur.
Et l’histoire ne s’arrête pas
là : Max Nublat aura même droit à un entretien privé avec Deng Xiaoping,
devenu le successeur de Mao, qui évoquera ses souvenirs montargois.
Le fin mot de l’histoire ?
Quelques
passionnés vont s’apercevoir qu’au moment de son passage par Montargis Deng Xiaoping ne s’appelait pas encore
Deng Xiaoping : il utilisait
encore son nom de naissance….
Et sur sa fiche de travail retrouvée, on peut lire : « A refusé de travailler, ne pas reprendre ».
De cette époque date le début de l’engagement militant de Deng Xiaoping.
Deng Xiaoping a séjourné en France dans sa prime jeunesse ; quand il est parti, il était au sortir de l’enfance, à son retour il savait déjà ce qu’il allait faire de sa vie au service de son pays et de ses compatriotes. (Discours du Président chinois, Hu Jintao, pour le 100ème anniversaire de la naissance de Deng Xiaoping en 2004)
Aujourd’hui
encore, les liens restent forts.
Depuis 2005
un circuit commémoratif des Chinois à Montargis rend hommage à l’histoire.
En 2014, une
place Deng Xiaoping a été inaugurée à Montargis, suivie, en 2016, par un Musée
Historique de l’Amitié Franco-Chinoise.
Le Lycée en Forêt à Montargis
enseigne depuis de nombreuses années le mandarin et des échanges sont réalisés
avec le lycée n°1 de Changsa, capitale de la Province du Hunan.
Et les choses pourraient encore
s’accélérer puisque l’université Tsinghua de Pékin, 1ère université chinoise, envisageait,
avant la crise sanitaire, d’ouvrir une antenne à Montargis. Affaire à
suivre.
***********************
Réécouter
Archive INA : Jean Joubert lit un extrait de son ouvrage "Les sabots
rouges", sur la description d’un atelier d’une usine de pneus et
caoutchouc de Montargis en 1936 (France Culture, "Un livre, des voix"
de Pierre Sipriot, 19.07.1979)57 SEC
Archive INA : Jean Joubert lit un extrait de son ouvrage
"Les sabots rouges", sur la description d’un atelier d’une usine de
pneus et caoutchouc de Montargis en 1936 (France Culture, "Un livre, des
voix" de Pierre Sipriot, 19.07.1979)
Montargis (06 au 10.07.1920) : CAI Hesen et son amie XIANG Jingyu exposent à leurs compatriotes leur thèse pour "sauver la Chine et le Monde".
Historiquement, ce sera le véritable point de départ de la Chine Nouvelle
• Crédits : "Amitié Franco-Chinoise", association et musée historique
Remerciements à WANG Peiwen, présidente de l'association Amitié
Chine-Montargis, pour les photos qui nous ont permis d'illustrer ces pages.
Un
documentaire de Sacha Corso, réalisé par Vincent Decque. Archives INA,
Manuela Dubessy. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque
de Radio France et Mewen de Maqueville, stagiaire.
Archives diffusées : Conférence
de presse du Général De Gaulle (31.01.1964) - France Inter (12.05.1975) -
Reportage télévisé Le Voyage Rouge (émission L’'Enquête
au Centre sur France 3 Val-de-Loire)
Dang Xiaoping a rappelé tous ses
souvenirs ici : L’apprentissage de la danse, la montée en vélo, le plaisir
des croissants. […] Deng Xiaoping a aussi rappelé à Max Nublat, que c’est à
Montargis, finalement, qu’il a fait ses premières armes communistes. Jean-Louis
Rizzo
Bibliographie
- En quête de rêve à Montargis.
Comment la Chine est entrée dans l’histoire de Montargis, de Chen Hong (éditions de L'Écluse, 2019.
Maison d’édition populaire du Hunan, Musée Historique de l’Amitié
Franco-Chinoise)
- Les années françaises de Deng
Xiaoping,
article de Geneviève Barman et Nicole Dulioust paru dans le n°20 de la
revue d’histoire Vingtième Siècle (octobre-décembre 1988)
sur le site Persée.fr
- Émigration et
Politique : Les étudiants-ouvriers chinois en France 1919-1925, de Nora Wang (Les Indes Savantes, 2002) sur le
site du Musée de l'Histoire de
l'Immigration
Il y a débat mais il y a l’Histoire. […] C’est une horreur ce qui s’est passé à Tian’anmen, je le sais. Cette place, elle existe, c’est la place de la gare, et personne n’y habite donc personne ne reçoit une lettre à la place Deng Xiaoping.
C’était la place où il est arrivé à Montargis donc c’est un clin d’œil à l’Histoire mais ce n'est pas une prosternation.
Benoît Digeon, à propos de la place Deng Xiaoping à Montargis: "À la mémoire de DENG Xiaoping, ancien grand dirigeant de la République populaire de Chine, venu étudier et travailler dans le Montargois, dans les années 1920".
• Crédits : "Amitié Franco-Chinoise", association et musée historique à Montargis
Pour aller
plus loin
- Visite virtuelle du Musée Historique de
l’Amitié Franco-Chinoise
- Le Voyage Rouge, reportage télévisé
(émission L’Enquête de Région sur France 3
Centre-Val-de-Loire
- Site de l’association Amitié Chine-Montargis
- Max Nublat, ancien maire de Montargis
(1977-1997), sur le site Maitron, dictionnaire biographique,
Mouvement Social, Mouvent Ouvrier
- Les tribulations de Yang, pages personnelles de
Stéphane Yang consacrée à son grand-père Yang Tche Chen
- Montargis, berceau de la
Chine nouvelle, article de Régis Guyotat paru dans Le
Monde (septembre 2006)
- Deng Xiaoping (1904 -1997),
le "petit timonier" sur le site Hérodote.net, le média
de l'histoire, par Béatrice Roman-Amat (07.06.2021)
Réécouter
Yan Pei-Ming : "Ce qui m'intéresse dans le noir et blanc, ce sont les jeux
de lumière"56 MIN
Yan Pei-Ming : "Ce qui m'intéresse dans le noir et blanc, ce sont les jeux de lumière"
- Reportage photographique de
Christophe Mouton sur l’usine Hutchinson de Montargis
- Article de Stéphane Lagarde à
propos du documentaire Sur la piste de Yu Bin, de Jean-Christophe Yu. À lire
sur le site Asialyst (avril 2017)
- Les étudiants chinois et la
France au début du XXème siècle, article en 2 parties de Jacques Dumasy,
conseiller économique et commercial auprès de l’ambassade de France à
Pékin de 1992 à 1997 et consul général à Chengdu de 2005 à 2009. À lire
dans Sud-Ouest (février 2018) : Zhou EnlaïI et Deng Xiaoping - Les années parisiennes
- La France et les premiers
marxistes chinois, communication élaborée par Alain Labat,
président de la fédération des associations franco-chinoises
- L’empreinte laissée par Deng Xiaoping en France, article publié dans le Quotidien du Peuple (2011)
************************************************************************
MONTARGIS, La Chinoise
Après la mort de Mao, qui se souvient de la
place qu'a occupée Montargis dans la naissance du parti communiste chinois ?
Sans doute d'abord les protagonistes eux-mêmes,
et à commencer par Deng Xiaoping.
Lors de son retour en France en 1975, cette fois en visite officielle,
l'ancien étudiant souhaite revoir Montargis et "[y] manger des croissants" !
Ce voyage emprunt de nostalgie n'aura jamais
lieu mais son ancien employeur, la multinationale Hutchinson, retrouve la trace de son passage dans les années
20.
Il s'agit d'une fiche archivée. Par ailleurs, Deng Xiaoping n'aura de cesse de rappeler l'importance de cette
petite ville du Loiret dans l'Histoire de la Chine moderne.
En
1982, la France, socialiste depuis un an (et avec des ministres
communistes au gouvernement), forme de grands espoirs au sujet de ce
gigantesque pays, "sur
le point de s'éveiller".
Ce dernier est en passe de respirer après
plusieurs décennies de guerres civiles, d'une révolution culturelle terrible,
de programmes politico-économiques lancés à la hussarde et de purges au plus
haut sommet de l'État.
Des millions de morts ont accompagné la mue de
cette région du monde.
Deng Xiaoping, l'ancien petit ouvrier de Montargis est à la tête de
l'État et s'apprête à le moderniser contre vents et marées.
Le "Socialisme
à la chinoise" se voit mâtiner d'un libéralisme a
priori contre-nature, ce qui ne semble pas troubler outre-mesure le pragmatique
Deng : "Peu
importe qu'un chat soit blanc ou noir, le plus important est qu'il puisse
attraper des souris", affirme-t-il avec conviction.
Un voyage officiel est organisé
en cette année 1982, rassemblant maires de grandes villes et industriels
influents. Deng
Xiaoping met une condition à ce voyage : que parmi les invités
crânement présents figurent Max Nublat, le modeste maire (communiste) de
Montargis.
La journaliste Sylvie Braibant raconte avec verve et talent cet événement digne d'un film :
"Max Nublat (...)
fit sa valise, grimpa dans l'avion réservé à l'imposante suite
française, fut placé un peu derrière les autres.
Après l'atterrissage et alors
que tous s'apprêtaient à descendre, des officiels chinois pénétrèrent dans la
carlingue, très affairés, et demandèrent à tout le monde de se rasseoir, à
l'exception de "Monsieur le maire de Montargis".
Très étonné, et même légèrement
inquiet, il passa donc devant tout le monde : au bas de la passerelle, sous une
banderole de bienvenue déployée à son nom, une somptueuse limousine attendait.
Il fut embarqué toutes sirènes hurlantes vers le Palais impérial.
Là, les portes s'ouvrirent les
unes après les autres. Dans la dernière pièce, un homme attendait tout sourire
et les bras ouverts.
Deng Xiaoping dit "dans mes
bras Monsieur le maire de Montargis" et il serra bien fort contre lui un
Max Nublat au bord d'une double apoplexie, physique et psychique."
Ému et nostalgique, Deng Xiaoping se
souviendra longtemps d'anecdotes survenus cinquante ans plus tôt à Montargis
: l'apprentissage de la valse dans un dancing, La Gloire (devenu
un hôtel et restaurant étoilé), un PV récolté pour le non-fonctionnement
du feu rouge d'un vélo ou le souvenir d'une collègue d'atelier aux yeux de
couleurs différentes : "Impossible qu'il ne soit pas allé à
Montargis", témoignera le maire de l'époque après coup.
Trente années se sont passées depuis cet événement diplomatique.
Après la mort de Deng Xiaoping en 1997,
les relations étroites entre la Chine et Montargis ne sont pas laissées lettre
morte, loin s'en faut.
Difficile à placer sur une
mappemonde, la petite ville du Loiret tente cependant de cultiver cet héritage,
non sans arrière-pensée économico-touristique.
Timidement, des initiatives se
font jour pour capitaliser sur les relations sino-montargoises : circuit
touristique, musée de la Chine au 15 rue
du Tellier (anciennement 15 rue du Pont de l'Ouche, un site qui avait servi
de résidence à de jeunes Chinois), manifestations culturelles sous l'égide
d'une ambitieuse association Amitiés
Chine-Montargis et de sa charismatique présidente, Peiwen Wang.
Comment conclure cette série d'article sur les liens hors normes
qui unissent une modeste ville française et une superpuissance ?
Peut-être en évoquant un dernier
protagoniste.
René Dumont, candidat aux élections
présidentielles de 1974, était le fils
de la directrice du collège du Chinchon, un des lieux d'accueil d'étudiants
chinois.
Plus
de cinquante ans après la venue de Li Shizheng,
venu en France étudier l'agronomie, c'est René Dumont qui entreprend plusieurs
voyages en Chine sur le même sujet.
Il
constate là-bas les évolutions agricoles de la réforme agraire chinoise de 1949, non sans naïveté ni aveuglement
d'ailleurs ("Saluons le
dévouement des dirigeants chinois à l’intérêt national et à celui des
travailleurs",
écrit-il).
Il
en retire des enseignements sur l'agronomie marxiste ("Une
autre politique de développement existe déjà, dans le pays le plus peuplé du
monde, qui permet une croissance mesurée certes, mais sans aide extérieure,
sans chômage, sans gaspillages, avec très peu de pollutions : celui de la Chine").
Il
en vient à affirmer, en utopique patenté, ses convictions sur la nécessité
d'une révolution mondiale... écologique.
Ce voyage d'un Montargois dans
le pays de Deng Xiaoping, avec en arrière-fond
l'agronomie chère à Li
Shizheng, peut être lu comme un formidable pied de nez du
destin.
C'est aussi une manière
fascinante de boucler la boucle de cette aventure humaine, sur fond de
révolutions.
Un remerciement particulier à Peiwen Wang
Sylvie Braibant, "De Montargis à Pékin :
le grand bond en avant", janvier 2013
Jérôme Perrot, "Montargis, l'étape secrète de la Révolution
chinois",
Humanité Dimanche, 16-22 octobre 2014
Régis Guyotat, "Montargis,
berceau de la Chine nouvelle",
Le Monde, 9 septembre 2006
Alexandre Moatti, "René
Dumont : les Quarante ans d'une Utopie", La Vie des Idées, 11 juillet
2014
Association
Amitié Chine-Montargis
Musée de la
Chine, 15 rue Tellier, Montargis
Voir
aussi les deux articles précédents :
Montargis
la Chinoise [1] : Naissance d'une idée
Montargis la Chinoise [2] : Deng Xiaoping et d'autres jeunes
gens ambitieux