Souvenirs du Lycée –en-Forêt de Montargis
Comment
évoquer le Lycée-en-Forêt sans parler, brièvement, du Collège de jeunes Filles,
boulevard du Chinchon à Montargis, département du Loiret.
Juste un rappel de quelques moments épiques de la vie des pensionnaires
qui venaient, pour la plupart, des villages proches de ‘’la Venise du Gâtinais’’
Ces
adolescentes, toutes très fières d’avoir réussi au Concours d’entrée en sixième
& de porter, pour sortir, la tenue réglementaire, chemisier blanc, jupe
plissée bleu marine & veste assortie.
En
classe, la blouse beige portant les nom, prénom & classe brodés au coton
perlé rouge, annulait les différentes classes sociales.
Au goûter,
nous prenions des tranches de pain servies sec que nous agrémentions de barres
de chocolat ou de confiture stockées dans nos boîtes à provisions rangées près
du réfectoire.
Certaines y
ajoutaient des fruits, bananes, pommes ou oranges.
Après le
dîner, nous allions par tous les temps, nous dégourdir les jambes dans la cour.
Par groupes, nous racontions nos histoires du dimanche passé dans nos
familles restées au village ou alors, nous menions campagne pour élire la chef
du dortoir.
Si je parle
de cette anecdote, c’est grâce à Anne-Marie Muzard : elle
avait racolé des internes d’une manière si bruyante & si envahissante
qu’elle gagna l’élection contre moi qui ne savais pas qu’une élection se
gagnait par matraquage verbal des électeurs !
Par cette
élection, j’ai compris que la politique ne serait jamais ma tasse de thé !
Durant d’autres soirées, la même A M
Muzard dansait le flamenco frappant des castagnettes & chantant en
espagnol. J’en étais estomaquée : elle n’avait aucune honte à montrer ses
origines au contraire elle montrait la richesse de sa culture maternelle alors
que moi, je faisais tout pour tenter de cacher les miennes polonaises&
honteuses ! Quelle claque !
Quant aux
« grandes », celles de 2nde, 1ère &
terminales, elles ne venaient pas dans la cour, elles avaient le droit de
s’engouffrer dans une salle peinte en rose, le « foyer » où elles
pouvaient écouter des disques, danser, s’affronter dans des jeux de
société : nous avions hâte de le devenir, le plus rapidement possible; elles
étaient très impressionnantes, une belle prestance, on dirait des
« stars », de nos jours ou des « people ».
Pour parler
des stars, qui se souvient du passage de Mijanou Bardot, la sœur de
Brigitte, qui était de passage, en
compagnie de Maurice Ronet, à l’hôtel de la Poste, en face du
Collège, la nuit précédant la distribution des prix ? Les prix reçus, nous
nous sommes précipitées pour la séance d’autographes.
Au
dortoir, nous avions nous aussi notre star, Françoise Larivière qui
avait deux dons : elle chantait à tue-tête pendant la toilette du soir
mais elle chantait faux les chansons en vogue : une véritable «
Marguerite» !
L’autre don,
la narration : le lundi soir, elle racontait haut & fort, le programme
de la télé du samedi soir, «36 Chandelles » avec Jean Nohain.
Celles qui ne possédaient pas de poste de télévision, tiraient la langue &
j’étais de celles-là.
Les années
sont vite passées avec le travail donné par les professeurs telles Mme Hue, en Français, Mme Pigelet en anglais, Mlle
Voisin en couture, Mme Thouvenot en latin qui me
surnommait « archaïque » parce qu’en version j’avais mis un mot
trouvé dans le Gaffiot suivi de la mention « archaïsme » que j’avais
recopié portant la même mention ! Ironique la Latiniste.
Á propos de 6ème,
en janvier 1956, l’hiver avait été particulièrement
rigoureux.
Il
neigeait tant, pendant les nuits du dimanche au lundi qu’il était impossible de
circuler: il fallait attendre le passage du chasse-neige pour oser s’aventurer
sur les routes à travers la campagne ; quelle aubaine, pour nous
pensionnaires !
Le
retour au collège ne s’est fait qu’en début d’après-midi, plusieurs lundis de
suite.
Enfin, nous
sommes devenues « Grandes » : à la rentrée scolaire
1960-1961, nous avons eu le privilège de participer à l’ouverture d’un
nouveau lycée : Les garçons du collège boulevard Gambetta & les filles
du Chinchon, secondes, premières & terminales furent regroupés au
Lycée-en-Forêt qui venait de s’achever, juste derrière les terrains de sport du
stade où nous allions en « plein air », une fois par semaine, en
lisière de la forêt.
Quelle
révolution ! Nous montions dans le car de l’entreprise
« Darbier », le « Darbus » dixit Christiane,
après le petit-déjeuner, les cartables bourrés pour la journée, nous
traversions la ville avant de descendre devant la grille & pénétrer, comme
tous les externes & les demi-pensionnaires, dans l’immense cour de cet
impressionnant lycée flambant neuf.
Á la
sonnerie, mise en rang, filles & garçons, pour pénétrer dans les classes
avec les professeurs.
La 1ère B
dont je faisais partie était mixte : pour la première fois de ma vie, à 17
ans, je côtoyais de près des garçons ! Quel chamboulement !
Quelle excitation ! Six ou sept heures devant ou à côté d’adolescents
aussi perturbés que les adolescentes. Josette Haize & moi,
étions assises à la même table devant celle de Jean-Marie Guillon &
de Roger Gramain, deux énergumènes qui ne cessèrent de toute
l’année de lancer des vannes assez fort pour être entendus des deux excitées
placée devant eux.
Nous
avons bien ricané comme toute adolescente qui se respecte de leurs « bons
mots », tellement ricané que j’en ai raté mon 1er bac;
même l’oral de rattrapage qui avait lieu, à Paris, au lycée Claude Monet dans
le 20ème a été aussi lamentable que mon année scolaire !
Je garde un
souvenir infime mais précieux de l’inauguration du Lycée-en-Forêt.
Toutes les
classes étaient rangées dans la cour, face au lycée, dos à la forêt.
Le proviseur
& les autres membres de l’administration font la présentation des
professeurs, en tête des classes.
Le ministre
de L’Education Nationale, Louis Joxe, cheveux blancs ondulant,
costume sombre & chaussures en daim, est à la parade avant de prononcer son
discours. Je n’ai d’yeux que pour ses chaussures : un homme chaussé
d’aussi élégantes chaussures en daim, du jamais vu pour moi ! Puis nous
sommes retournées à nos ricanements ; rien à dire de mon redoublement de
la classe de 1ère si ce n’est remercier Madame la Directrice
& l’administration d’avoir permis à une élève boursière de conserver sa
bourse tout en redoublant. Les cours de français ont repris avec Mademoiselle
lange & le latin, avec Madame Thouvenot, en compagnie de
nouvelles camarades celles qui venaient de seconde. Lange &
Thouvenot, les seuls noms de professeurs qui me restent en mémoire.
Obtention du
1er bac, à l’écrit & passage en Terminale Philo. 47
élèves dans la classe, dont 14 garçons : évidemment, ils sont en Math
Elem, & bientôt nous serons 50 car des élèves rapatriés d’Algérie arrivent.
Monsieur
Régnier, règne en maître sur la section,
Monsieur
Dupré, histoire-Géo,
Mademoiselle
Vianney, physique-chimie,
Madame Gendre, en éducation physique,
Monsieur Lavé en anglais sont des noms & des têtes restés en mémoire.
Jacqueline
Bourgeron correspondait avec Jeanine
Smolnik qui poursuivait ses études à l’Ecole Normale de Melun en 4ème année,
formation des institutrices. Jeanine a conservé ces reliques
précieusement & jacqueline ne m’en voudra pas d’en extraire
quelques passages devenus savoureux.
Elle écrit
qu’elle est assise à côté de Boulas en physique & Claudine
Chaumont à côté de Claude Cochard, la coqueluche des
filles pour son visage gracieux.
La
classe est scindée en deux pour les cours de sciences-nat où la dissection
d’une souris provoque quelques remous.
Le 9 octobre,
ajoute-t-elle, Monsieur Régnier a fait une interrogation
écrite ; un texte de Bergson à lire puis définir la nature de la vie
psychique & la méthode de psychologie de Bergson.
Au travail,
les retraités à vos documents & à vos stylos pour un petit exercice de
style…
Autre
dissertation, fin octobre 1962, « les œuvres littéraires sont-elles utiles
à la science psychologique ? »
Ah, Monsieur
Régnier, rigoureux mais plein d’humour !
Je cite
toujours, Jacqueline Bourgeron, absente mais présente dans nos
cœurs, « Nous en sommes à la passion (à apprendre pour demain), ce matin,
nous faisions la perception.
Monsieur
Régnier abordait la perception, il parlait de l’hallucination en donnant des
exemples ainsi : « Si j’étais halluciné, je regarderais Mlle
Hetzel, une copine à Guimard, & je serais sûr que ce serait
Jeanne d’Arc car j’aurais des preuves mais comme je ne le suis pas, je sais
qu’entre elle & jeanne d’arc, il y a une abîme ».
Nous, esprits
mal tournés, nous avons pouffé de rire & impossible de s’arrêter.
On rigole
bien, tu sais ! l’autre fois, il donnait l’exemple du bonhomme sourd qui
s’assoit sur un tabouret qu’il fait tourner à toute vitesse ; il s’imagine
entendre car son corps vibre ; & Monsieur
Régnier de conclure : «il entend avec son derrière !» J’ai
gloussé pendant 10 minutes ? Fin de citation.
Ailleurs,
elle parle du lancement d’une coopérative par les élèves, à la récréation.
Elle cite également, les effectifs qui grossissent, 50 élèves & 2 nouvelles qui doivent arriver d’Algérie.
Elle cite également, les effectifs qui grossissent, 50 élèves & 2 nouvelles qui doivent arriver d’Algérie.
L’une lui a
raconté comment sa tante & son cousin ont été tués. C’est elle qui a dû
reconnaître les corps.
Elle-même a
échappé à un attentat, jeté à terre par la présence d’esprit d’une passante.
D’autres horreurs suivent…
Jacqueline
Bourgeron parle aussi d’une privation de
cinéma « La guerre des boutons » par Mlle Roussel à
cause des cris lancés à la suite d’une extinction intempestive de la
lumière.
Une terreur
cette surveillante d’externat mais d’anciennes camarades devenus pionnes à leur
tour ne faisaient pas mieux : J Touzeau, Claude
Ledroit, A M Muzard ou N Pierre nous collaient aussi Au
lieu de sortir en ville, le jeudi après-midi, seules, collées nous allions au
petit bois de sapins, obligées de nous boucher le nez en passant devant un
dépôt d’ordures ! Quelle exagération !
Dans un
courrier suivant, je lui écris que je veux diriger un club de danses
folkloriques mais Simone, la Directrice du collège du Chinchon
donnera-t-elle l’autorisation ? Elle fut donnée & nous avons passé de
bons moments à virevolter… parfois sous le regard bienveillant de Madame la
Directrice.
Jacqueline rapporte les sujets de philo donnés en composition ; « On
distingue, dans toute perception, 2 éléments, l’élément représentatif &
l’élément émotif. A l’aide de quelques exemples choisis aussi différents que
possible, expliquez » En Sciences nat : propriétés optiques de solution
colloïdales & un exercice sur l’expérience de Dutrochet.
Autres sujets
de philo ; « Apprendre à douter, savoir douter est peut-être le
secret du bon sens. L’ignorant doute peu, le fou ne doute jamais.
Qu’en
pensez-vous ? Quinze jours plus tard : « D’abord vivre ensuite
philosopher : comment le justifiez-vous ? Merci Monsieur Régnier, votre
pédagogie & vos réflexions ont guidé nos parcours de vie.
Sujet de la
composition de sciences nat : structure des gamètes chez l’animal.
Fécondation : exercice sur le croisement d’une souris blanche homozygote
& d’une souris grise d’ascendance inconnue.
Elle parle
d’un article que je prépare pour le journal du lycée : un verbiage féminin
qui fut amèrement critiqué par les garçons.
D’autres
lettres suivront parlant de sa vie personnelle ; J Bourgeron, A
lacombe, C chaumont C Grabos & moi-même seront reçues à la 2nde partie
du bac.
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A la rentrée
63-64 je serai, à mon tour surveillante & je retrouverai
des d’anciennes & d’anciens élèves passés dans l’autre camp : A M Muzard,
C Grabos, Kubiak, Maliki, Berthon etc….
Beaucoup de
sorties, peu de travail, la rencontre avec un jeune prof d’éducation physique
nommé au lycée.
Le mariage
l’été 65 & le départ à la coopération en octobre 65, en Algérie. Une page
venait de se tourner.
Oubliée
l’insouciance, il fallait sérieusement se mettre au travail, une classe de CM1
de garçons dans un quartier défavorisé d’Alger, attendait un instituteur. Un
jour d’observation dans une classe similaire & me voilà propulsée dans
l’arène pour de nombreuses années.
Je remercie
tous les enseignants qui m’ont aidé dans mon métier d’institutrice, de
conseillère pédagogique & de directrice d’école. A mon tour, j’ai essayé
d’être toujours à la pointe d’une pédagogie innovante pour que vive la langue française !
Geneviève Champeaux, Castagniers, Avril 2016
Souvenirs complémentaires des années charnières.
L’année scolaire 1959-1960 marqua notre passage en seconde. Un premier écrémage des élèves refusées au BEPC les dirigea dans une formation plus rapide vers le monde du travail, alors que de nouvelles lycéennes arrivèrent : celles qui venaient des collèges des alentours ayant les capacités nécessaires pour continuer des études qui les conduiraient au baccalauréat. Enfin, il y avait celles dont les parents avaient déménagé et qui étaient admises, d’office, au lycée le plus proche de leur domicile.
Josette H appartenait à cette catégorie. Elle était intelligente, brillante, bavarde et dotée d’une mémoire phénoménale : il suffisait qu’elle lise, une fois, une leçon d’histoire par exemple, pour la réciter ensuite, presque mot à mot ! Par quel heureux hasard suis-je devenue amie avec elle ? Je ne sais plus.
Elle venait de Bretagne alors que moi, j’habitais depuis ma naissance, dans le Gâtinais. Nous n’étions pas du même milieu social mais, toutes les deux, dans la même classe.
La 2nde B au collège de Jeunes Filles du Chinchon, se déroule sereinement pour les internes qui n’ont accès ni aux journaux, ni à la radio encore moins à la télévision naissante pour relater l’ambiance pesante et instable à laquelle la France se trouve confrontée : les événements d’Algérie.
Les matières enseignées sont les français, le latin, l’anglais, l’allemand ou l’espagnol, les mathématiques, un peu, les sciences naturelles, la physique et la chimie, et, l’éducation physique. La musique, comme le dessin et la couture sont seulement en option pour celles qui le désirent.
C’est une année, comme aujourd’hui, sans examen en fin d’année scolaire.
En dehors de nos cours, de nos heures d’étude et de nos repas, nous les internes, avons des loisirs pour discuter ou pour lire. Nous devenons très amies, Josette et moi : nos idées convergent.
À la rentrée scolaire 1960-1961, le grand chambardement se produit, nous sommes en 1ère B. Nous allons dorénavant, suivre nos cours au ‘‘Lycée-en-Forêt’’.
Les cars Darbier se chargent de nous transporter ; les internes filles vont rejoindre les demi-pensionnaires, les externes et les garçons ainsi qu’une catégorie différente : les internes qui n’ont pas obtenu une place au dortoir, sont logées dans une famille de Montargis qui leur fournit une chambre & le petit-déjeuner contre rétribution.
Une nouvelle élève débarque : Michèle J est une interne externée: elle quitte l’internat après le repas du soir pour rejoindre sa chambre en ville. Le samedi soir, elle rentre à Orléans où son père est négociant. Le lundi, retour à Montargis.
C’est une adolescente svelte, joviale, au visage gracieux, portant vêtements de luxe et escarpins raffinés. Elle est remarquée pour son goût exquis et son allure détendue. Le travail scolaire n’est pas sa préoccupation prioritaire.
Elle est fascinante et Josette H est vite devenue son amie au détriment de notre amitié qui avait débuté l’année précédente. Michèle J revendait ses vêtements à toutes celles qui voulaient et pouvaient acheter des twin-sets, des jupes ou autres tenues dont les jeunes raffolent, pour une modique somme ; moi-même j’ai succombée à la tentation et j’ai pu lui acheter un pull blanc décolleté en V, au toucher agréable, composé de laine et de matière synthétique donc indéformable.
Notre amitié, entre Josette et moi, s’est donc effilochée mais nous sommes restées en bons termes, nous restions assises à la même table, en classe. Je n’étais pas de taille à lutter contre le pouvoir de l’argent et la désinvolture.
Aussi quand une camarade de classe me proposa de devenir ’’marraine’’ de guerre d’un appelé du contingent qui effectuait son service militaire en Algérie, je n’ai pas hésité : j’ai entamé une correspondance qui dura presque deux ans avec un militaire inconnu…
D’autre part, j’avais l’âge légal pour devenir monitrice de colonies de vacances ; j’ai effectué un stage de formation à Saint-Jean de Bray, près d’Orléans puis, pendant les vacances scolaires, je quittais la maison familiale pour animer des colonies d’enfants, en Haute-Savoie.
Un nouveau monde s’offrait à moi et je m’y engouffrais corps et âme. Pendant la période scolaire, j’étais une élève qui s’efforçait de travailler le mieux qu’elle pouvait pour obtenir le baccalauréat mais pendant les vacances, j’accompagnais, avec délectation, des groupes d’enfants, dans les Alpes en compagnie d’autres jeunes filles qui avaient fait le même choix.
Le Lycée-en-Forêt était mon port d’attache avec toujours, le collège de jeunes Filles du Chinchon pour nous accueillir, le soir venu; les dimanches, je retournais dans ma famille et l’UFCV, l’Union Française des Centres de Vacances, devenait mon employeur que j’appréciais beaucoup et qui le restera jusqu’à la fin juillet 1964.
En septembre 1963, l’Éducation Nationale m’employa également en qualité de surveillante d’externat … au Lycée-en-Forêt : j’avais gagné mon autonomie financière et j’étais amoureuse !
Une seconde année de pionicat au Lycée-en-Forêt, prise de nouvelles décisions, mariage et départ pour enseigner dans les écoles primaires en Algérie.
La page ‘‘ Lycée-en-Forêt de Montargis’’ était définitivement tournée !
Les bons souvenirs des dix années passées à Montargis restèrent gravés dans mon journal et dans ma mémoire.
J’ai plaisir à vous les faire partager.
Castagniers, mai 2016
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